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Emmanuelle de Boysson / ©Marc-Antoine Coulon

Cette semaine, le Journal d’Albion vous propose d’entrer dans les carnets d’Emmanuelle de Boysson. Ecrivaine, elle vient de sortir son dernier roman, Je ne vis que pour toi, aux Editions Calmann-Lévy. Elle écrit depuis qu’elle a l’âge de 12 ans. Emmanuelle de Boysson revient pour nous sur son rapport nécessaire aux carnets, qui a guidé nombre de ses romans. Entretien.

Comment utilisez-vous vos carnets au quotidien ? 

J’ai plein de carnets, que j’utilise pour tout. Je m’en sers à la fois pour prendre des notes sur les livres que je chronique, puisque je suis critique littéraire, mais aussi pour noter des réflexions ou des idées pour mes romans. Je m’en sers en voyage pour noter mes impressions, des listes de courses, ou mes propres réflexions au fil du temps. J’en ai partout et toujours un dans mon sac, ça me rassure. Les carnets sont une très vieille histoire. J’ai commencé à écrire à l’âge de douze ans. Quand j’étais petite fille, je vivais au Maroc, à Mohammédia, avec mes quatre frères et sœurs. Nous n’avions pas la télévision, et passions notre temps à jouer et imaginer. J’inventais des histoires tout le temps, et je mettais en scène mes sœurs. Mon père dirigeait une usine de textile, et nous avions une grande maison de fonction. Quant à ma mère, elle était très engagée dans le social. J’avais besoin d’un espace de liberté, et j’ai commencé à écrire sur un cahier à gros carreaux Clairefontaine. J’avais 12 ans, et j’écrivais à Anne Franck. Son journal m’avait beaucoup marqué. J’y racontais mes journées, et pendant des années j’ai continué. J’ai une pile d’une trentaine de cahiers dans lesquels il y a mon journal, devenu la matrice de mes romans. Je l’écris toujours aujourd’hui, mais sur ordinateur. À travers lui, j’ai pu acquérir de l’autonomie, une réflexion personnelle, des sujets de roman… Je dois avoir 2000 pages, depuis douze ans. L’écriture a toujours été pour moi une nécessité vitale. Ces carnets m’ont aidé à évoluer au fil des années, et garder trace de tout ce que j’ai vécu. Ils font partie de ma vie d’écrivain.

Quel est votre premier roman publié ? 

Ma première publication date de 1999, et c’est une trilogie familiale sur mes grands oncles. J’ai continué, puis je me suis dirigée vers le roman. J’ai écrit plus d’une vingtaine de livres. Il y a un livre que j’aime énormément, qui s’appelle Le Secret de ma mère (Presses de la Renaissance). C’est un livre très personnel autour de la mort de ma mère et de ma relation avec elle. Quand ma mère a eu un cancer, elle a tenu son carnet de maladie. À sa mort, ce carnet, je ne voulais pas le lire. C’était trop bouleversant. Quatre ans après sa mort, je l’ai retrouvé et j’ai découvert qu’elle avait eu un courage fou. C’était extrêmement émouvant, elle faisait aussi allusion à la guerre, à ses souvenirs de petite fille… Et j’ai aussi le journal de mon père. Dans ma maison de campagne, que j’ai rachetée à mes frères et sœurs après la mort de mes parents, il y a plein de carnets. Les placards sont remplis : les agendas de ma mère depuis 1949, les agendas de mon père… Il y a des milliers de carnets. Quand je les ouvre, je vois au jour le jour la vie de mes parents. Dans l’un des carnets d’adolescence de ma mère, elle raconte son année aux États-Unis. Au jour le jour, elle relate sa découverte d’une Amérique à l’époque flamboyante. 

Vous êtes entourée de carnets !

Ma vie, ce sont des piles de carnets !

Le journal d’Emmanuelle de Boysson / ©Emmanuelle de Boysson
Utilisez-vous vos carnets uniquement pour de la prise de notes ou aussi pour écrire vos romans ? 

Deux de mes romans sont totalement issus de mes journaux : Les Années Solex (2017) et Que tout soit à la joie (2019), parus aux éditions Héloïse d’Ormesson. Pour Les Années Solex, je me suis servie de mes petits cahiers de l’âge de 14 à 16 ans. J’ai tout repris. J’étais un peu hippie, puis gauchiste. Il y a des dessins de filles avec de longs cheveux, des foulards et des pantalons pattes d’éléphant. Et puis il y a toutes les petites histoires, les fugues, les films que je voyais, la musique que j’écoutais. Tout est là. J’avais un matériel formidable pour écrire. Que tout soit à la joie est la suite. Je l’ai aussi écrit grâce à mes carnets uniquement.  

Et en ce qui concerne votre nouveau roman, Je ne vis que pour toi, comment a-t-il été conçu ? 

Je me suis servie des cahiers et des carnets de femmes qui ont existé à la Belle époque. Natalie Barney était une Américaine très riche, qui avait un salon célèbre, où elle recevait tout le monde de Proust à Cocteau, en passant par Rodin et Gertrude Stein. Elle avait une académie de femmes autour d’elle, lesbiennes ou bisexuelles, très libres, qui faisaient beaucoup pour promouvoir la littérature des femmes. Et elles tenaient toutes un journal : Liane de Pougy, Natalie Barney… Ce qu’elles écrivaient était lié à leurs cahiers, leurs notes, leur correspondance. Elles écrivaient très bien. Mon dernier roman, qui vient de paraître, qui s’appelle Je ne vis que pour toi, est un roman sensuel, palpitant. C’est une évasion dans une époque extravagante. On y croise aussi Colette, une femme tellement libre. Elle aussi écrivait ses romans sur des petits cahiers d’ailleurs. Toutes ses Claudine ont été écrites sur des petits cahiers qu’elle avait rangés dans un tiroir, et que son mari Willy a trouvés. Il s’en est servi et les a publiés à son nom. La littérature est faite de carnets. Les écrivains vivent à travers eux. 

Les carnets d’Emmanuelle de Boysson / ©Emmanuelle de Boysson
Ressentez-vous aussi un besoin de l’écriture manuscrite ? 

Oui, bien sûr. Je trouve que l’écriture manuscrite a cet avantage de laisser libre cours à la pensée, sans avoir cette interférence avec l’ordinateur. Le style est bien plus coulant, musical, au plus proche des flux de pensée, de la sensation du souvenir qui rejaillit. Il y a un lien direct entre la plume, les états d’âme et l’écrit. J’écris beaucoup à la main. Souvent, j’écris d’abord sur des carnets et après je reviens à l’ordinateur. Mais je reconnais que le style est bien meilleur quand j’écris d’abord sur le papier. 

Et avez-vous des livres qui vous ont donné envie d’écrire ?

Je suis devenue écrivain par la littérature. J’ai lu la Bibliothèque rose, la Bibliothèque verte, Le Grand Meaulnes… J’ai eu plusieurs périodes dans ma vie. Une période où j’adorais Zola, Dostoïevski avec Crime et Châtiment, qui est un vrai polar, d’une modernité hallucinante. J’ai aussi eu une période poétique : Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Eluard… Puis une période plus contemporaine, avant-gardiste, avec le Nouveau Roman : Nathalie Sarraute, Marguerite Duras. Ma bibliothèque est aussi remplie des romans de Virginia Woolf, Jane Austen, Edith Wharton, les sœurs Brontë. J’aime beaucoup ces Anglaises. J’ai toujours été intéressée par cette littérature. En France, on a moins peut-être moins de grandes écrivaines de cette époque-là. J’adore aussi Stefan Zweig, Francis Scott Fitzgerald. Mon roman préféré est Le Rouge et le Noir de Stendhal. Et j’ai une véritable passion pour Proust, que je lis tous les soirs. C’est l’avantage de Proust, vous pouvez l’ouvrir à n’importe quelle page. D’ailleurs, il est aussi très présent dans mon dernier roman, Je ne vis que pour toi

Actualités d’Emmanuelle de Boysson : 
Emmanuelle de Boysson, Je ne vis que pour toi, Calmann-Lévy
  • Nouveau roman Je ne vis que pour toi chez Calmann-Lévy
  • Prix de La Closerie des Lilas — nouvelle édition en cours pour 2021
  • Création d’un nouveau prix littéraire Le Temps retrouvé, qui sera remis au Ritz le 14 décembre prochain

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