Cette semaine, le Journal d’Albion vous propose d’entrer dans les carnets de l’écrivain Salomé Berlemont-Gilles. Son premier roman, Le Premier qui tombera vient de paraître chez Grasset en cette rentrée de janvier. Aujourd’hui, elle nous parle de ses carnets, de la manière dont elle a commencé à écrire, de ses tocs et de Nabokov.
Pourquoi écrire dans des carnets ?
J’écris en stade : la tête, les carnets, le mur et l’ordinateur. Le carnet provoque un rapport beaucoup plus intime qu’avec un écran d’ordinateur. Tout ce qui vient quand j’écris passe par le souvenir, les sentiments. C’est comme les pièces d’un puzzle que tu ne connais pas encore. Il y a quelque chose dans la sensorialité du carnet, qui rend beaucoup plus simple d’éveiller des souvenirs et des émotions.
Tu as dit, en parlant des stades d’écriture : « le mur »…
Oui, j’affiche sur le mur.
Tu utilises des post-its ?
Alors, je suis contre les post-its, parce que c’est trop amovible. Quand on est dans un livre, on est dans quelque chose de permanent. Je préfère découper des pages de carnets, et écrire sur des feuilles volantes et des feuilles bristol. J’accroche aussi au mur des articles de journaux. Pour mon prochain roman, j’évoque le travail des femmes et la nouvelle pénibilité du travail féminin sur les métiers de service, et j’ai trouvé beaucoup d’articles. Je les déchire et les accroche au mur. Ça fait très serial killer. (Rires) Ça me permet de visualiser. J’ai beaucoup de mal avec la chronologie, alors j’essaye de faire une fresque. C’est un puzzle qui passe du carnet au mur. Ce sont ces différentes étapes qui permettent au livre de se révéler. Un carnet est quelque chose de très intime. Dès que tu le tapes sur ordinateur, c’est beaucoup plus froid. Avec un livre, plus il est abouti, plus il avance, et moins il est à toi.
Emmènes-tu tes carnets partout avec toi ?
J’emmène des petits carnets partout. Je peux aussi écrire sur ma main. J’ai un peu arrêté, parce que dans le monde du travail, bon… Je m’envoie aussi des mails. J’ai plusieurs carnets, que j’utilise différemment. J’ai des carnets avec des fragments de poésie, des phrases de rap, des carnets pour la chronologie, d’autres qui sont par deux, et qui ne doivent pas se quitter. Parfois, il m’arrive d’être en déplacement ou dans la rue, et si je n’en ai pas, j’en achète un. J’ai aussi quelques carnets oubliés. J’en achète beaucoup, c’est un peu compulsif… Et ils ont différentes tailles. Les plus grands sont adaptés à la chronologie, la construction des parties du roman. J’utilise les petits quand je me promène, pour prendre des notes. J’en ai dix en même temps quand j’écris.
Ecris-tu uniquement ton roman dans tes carnets ?
Parfois, il m’arrive d’écrire autre chose, mais ils sont gâchés… Alors, j’arrache les pages et je les délaisse.
Comment as-tu commencé à écrire ?
Quand j’étais toute petite, j’écrivais des romans de science-fiction sur des feuilles. J’aime le glissement du stylo plume sur le papier. Il y a une immédiateté du résultat : tu remplis les pages et tu les as. Sur un ordinateur, la virtualité fait que ça n’existe pas. Après, j’ai écrit des nouvelles. Mon premier livre Argentique (paru chez JC Lattès) est une nouvelle de ce recueil qui n’est jamais paru. En général, quand je commence à écrire, j’écris un mot. Souvent le titre et les grandes idées, quelques sentiments. C’est très intéressant de tailler, comme si ça existait déjà.
As-tu été obligé de te contraindre à des rituels d’écriture pour finir ce premier roman ?
Absolument. J’ai essayé de me contraindre à des rituels, mais ça ne fonctionne pas avec moi. Dès que je me force trop, ça ne fonctionne plus. Il faut accepter les moments où tu n’es pas créatif, les moments où tu ne fais rien, où tu n’écris pas. Tout ceci fait partie du procédé. Les rituels n’ont pas fonctionné pour moi, mais plutôt l’écoute. C’est l’anti-rituels. En vérité, le roman est la plus grande charge mentale. On y pense tous les jours pendant des mois, des années. En revanche, je pense que j’ai des tocs : les différents stades, écrire avec un stylo plume (qui a une plume souple), j’ai aussi des codes couleurs, j’aime écrire dans mon lit, dans des cafés et quand il fait froid…
Quand il fait froid ?
Oui, s’il faut vraiment que j’avance, j’aime écrire tôt dehors, à la terrasse d’un café, en hiver. Ça m’aide à être plus réveillée. J’aime aussi écrire la nuit, tôt le matin. Et je déteste que quelqu’un écrive dans mes carnets. Si c’est le cas, le territoire a été souillé pour toujours. Oui, j’ai beaucoup de tocs…
Pour finir, peux-tu nous parler de livres qui t’ont donné envie d’écrire ?
Dostoïevski, Nabokov (j’ai même un tatouage de son portrait sur le bras), Joyce. Depuis peu Bukowski, contre ma volonté. C’est assez dramatique, parce que comme toute personne ne voulant pas être hipster, j’ai dit toute ma vie que je ne lirai pas Bukowski. Au final, c’est assez exceptionnel. (Rires) J’aime beaucoup la littérature hispano-américaine. Actuellement, je lis beaucoup de littérature anglo-saxonne, et surtout Jeanette Winterson, très méconnue en France. Sa maîtrise du langage est incroyable.
Conseils lecture :
- Jeannette Winterson
- Charles Bukowski
- James Joyce
- Fiodor Dostoïevski
- Vladimir Nabokov
Dernières parutions de Salomé Berlemont-Gilles :
- Le Premier qui tombera, chez Grasset
Si vous aussi vous souhaitez commencer un carnet pour écrire votre premier roman, l’Atelier d’Albion vous invite à découvrir sa papeterie en ligne.
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