You are currently viewing L’écrivain et son lecteur

La plupart des écrivains vous diront qu’il ne faut pas penser au lecteur quand vous écrivez. Sur, le fond, je suis assez d’accord avec cette idée. Néanmoins, lors de mes ateliers d’écriture, je rajoute toujours un mais : « Ne pensez pas au lecteur pendant l’écriture, mais n’oubliez jamais qu’il est au bout de la chaîne. »

Le point aveugle de Javier Cercas

Dans son essai Le Point aveugle, Javier Cercas développe tout un pan du rapport au lecteur. Pour l’expliquer, il utilise l’exemple du troublant Bartleby le scribe de Melville. Nous ne savons pas grand-chose de ce personnage. La fin peut amener à de nombreuses interprétations, ce qui fait de Bartleby un personnage entêtant, dont on voudrait découvrir les secrets. Bartleby est un personnage à zones d’ombre. C’est ce fameux « point aveugle », cette interrogation fondamentale qui n’est pas résolue. En créant ce « point aveugle », Melville questionne le lecteur. Et Javier Cercas de nous dire : « Le lecteur a besoin que l’auteur lui concède un espace : cet espace est l’ambiguïté. » Et pour cela, « l’auteur doit y ouvrir une brèche […] : cette brèche, c’est le point aveugle ». La question du lecteur est donc essentielle, puisqu’elle construit aussi la narration.

Écrire pour bousculer le lecteur

Selon Javier Cercas, la littérature est aussi une question de lecteur. Pourquoi écrire, si l’on ne se pose jamais la question de ce que provoque son texte dans l’esprit du lecteur qui le reçoit ? La littérature doit poser des questions, inviter à penser, à développer son sens critique. L’écrivain Jean-Philippe Toussaint va d’ailleurs dans ce sens dans son livre C’est vous l’écrivain (Editions Le Robert). Il écrit : « Il est important que le lecteur complète les descriptions, qu’il s’en empare, qu’il les enrichisse, qu’il les fasse siennes. […] Les livres doivent être à l’image de cette cage à poules, c’est l’écrivain qui construit les pleins, les barreaux métalliques qui imposent une structure rigide et contraignante, mais il faut laisser au lecteur des espaces vides à compléter. » 

Myriam Thibault, créatrice d’Atelier d’Albion, anime des ateliers d’écriture en ligne et en solo, à découvrir par ici :