Cette semaine, l’écrivaine Gaëlle Josse nous ouvre ses carnets à l’occasion de la sortie de son nouveau roman, Ce matin-là (Notabilia), qui vient de paraître en cette rentrée littéraire. Passionnée de carnets, elle en fait même l’éloge dans son dernier roman. Entretien.
Comment utilisez-vous vos carnets au quotidien ?
J’ai un rapport très compulsif et affectif au papier, donc le carnet est un peu toute ma vie. Au lycée, j’avais un carnet de citations, et je notais celles qui me marquaient, que je trouvais belles ou qui me faisaient réfléchir. C’était un répertoire, et je les classais par auteurs. Depuis, j’ai toujours eu des carnets. J’en ai eu des tonnes, de toutes les formes, de toutes les couleurs. J’en ai toujours dans mon sac, sur ma table de nuit. Et j’en ai toujours d’avance, que j’ai achetés ou que l’on m’offre. En ce moment, dans mon sac à main, c’est un petit carnet qui vient de Florence.
Qu’écrivez-vous dans ces carnets ? Vous servent-ils uniquement pour vos romans ?
J’essaie de faire en sorte que ça ne me serve que pour ce qui est de l’ordre de l’écriture et de la lecture. Je ne mélange pas mes To-do-list et mes listes de courses. Sinon, je ne m’y retrouve pas. J’y note des réflexions, des idées, une image, un mot, une note pour un texte en cours, un début d’écriture, quelque chose que j’ai lu et qui m’a frappé. C’est plutôt de la prise de notes. Ça peut être un fragment de poésie, une idée, une piste, une expression, une question. Si je rédige, ce sera quelque chose de très court, avant de le retravailler ou de le développer. J’ai besoin d’avoir sous la main un support qui peut accueillir tout cela, tout de suite et n’importe où.
Les carnets de Gaëlle Josse / ©Gaëlle Josse
Et en ce qui concerne vos lectures, que notez-vous ?
Quand je lis quelque chose qui me plaît ou qui m’impressionne, je le note. Même si aujourd’hui, je vous avoue que j’ai de plus en plus recours à la photo et à la capture d’écran. Je me retrouve avec des milliers de photographies dans mon téléphone. Le carnet est destiné de plus en plus à l’écriture.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Pas tellement, dans la mesure où j’ai une vie assez banale entre mon travail et ma vie familiale. Dans ce mouvement, je n’ai pas vraiment de rituel d’heure et de lieu. J’écris quand c’est possible et surtout quand j’ai quelque chose à écrire. En revanche, je dirais que mon rituel est plutôt dans la présentation de mon texte sur l’ordinateur. Je suis très maniaque : il me faut une marge, je positionne le titre et le nom sur la première page, et j’ai besoin d’y mettre une photo ou un dessin qui fait écho à ce que je suis en train d’écrire, même si ce n’est pas le visuel qui sera celui de la couverture. Le titre non plus, il change parfois en cours d’écriture. J’ai besoin de ces refuges numériques. En ce qui concerne les relectures, j’ai besoin de les faire sur papier. Il faut se confronter au texte physiquement, charnellement. Je corrige assise dans mon canapé, un crayon à la main, le papier sur les genoux, en position de vraie lecture. Ça m’est vraiment indispensable.
Qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’écriture ? Un livre, un événement ?
J’ai toujours eu un rapport très obsessionnel à la lecture, à l’écrit. Et l’écriture, je dirais que j’ai commencé à l’adolescence, et elle est revenue de manière plus structurée et finalisée vers un vrai projet d’écriture autour de la quarantaine avec la poésie. Ensuite, il y a eu un glissement vers la fiction avec Les Heures silencieuses en 2011. Maintenant, je suis toujours dans la fiction, dans l’écriture de fragments ou de prose poétique… Je ne fais pas de distinction dans les genres littéraires.
Justement, pouvez-vous nous parler de votre dernier roman, Ce matin-là, qui vient de paraître en cette rentrée littéraire de janvier 2021, chez Notabilia ?
Justement, dans ce roman, toute une page est consacrée aux carnets. La jeune femme note sur un petit carnet ce qui la rend heureuse. À un moment, elle rentre dans une librairie, où elle découvre des centaines de carnets, donc je fais un petit panorama de ce monde de la papeterie, où l’on trouve des choses tellement belles et diverses, qui sont comme des bijoux, des gourmandises. Pour en revenir au livre, c’est un roman qui, contrairement aux autres, n’est pas romanesque au sens de l’intrigue ou du rebondissement. C’est une histoire très simple, que je voulais au plus proche de nos vies. C’est une histoire du quotidien, qui pourrait être celle de nous tous. Un jour, une jeune femme d’une trentaine d’années, Clara, se prépare comme tous les matins pour se rendre au travail. Le cerveau est programmé, elle a tous ses rendez-vous en tête, mais sa voiture ne démarre pas. À ce moment-là, elle non plus ne démarre pas. Le cerveau est programmé, mais le corps s’effondre. C’est un burn-out. Que se passe-t-il quand on est à terre ? Que cela modifie-t-il par rapport à notre vie sociale, familiale, amoureuse, amicale, ou encore le regard que l’on porte sur soi-même ? Les choses qui étaient relativement fixes et stables se mettent à bouger dans tous les sens. Il faut se remodeler, se réinventer. Je me suis demandé aussi pourquoi on se laisse parfois aller dans des situations aussi extrêmes. A-t-on le choix ? Pourquoi a-t-on fait ces choix ? Souvent, ces moments de bascule renvoient à des choses très intérieures. Il y a la question de la remontée à la source de l’enfance, le rôle de l’amitié. Sans qu’on sache comment ni pourquoi, parfois il y a un mot qui vient nous sauver. Clara, comment va-t-elle retrouver son désir de vie ? C’est un peu un livre sur le désir, ce qu’on en a fait, et si on peut essayer de retrouver notre place et notre vrai désir dans la vie.
Une petite pause, avec un extrait autour des carnets :
“En passant devant la librairie au bout de sa rue, Clara repense à cette histoire de carnet, elle avait oublié. Elle entre et se retrouve devant une profusion de cahiers, carnets, de blocs. Des plus utilitaires aux plus raffinés, aux plus précieux, au plus originaux. Des carnets-bijoux, des carnets-bonbons.
Elle hésite entre les coquillages, les toucans, les papiers peints à motifs géométriques, les jungles à palmiers et panthères, les papillons, les dessins rétro, tour Eiffel et Sacré-Cœur, les poissons, les fausses reliures anciennes, les photos en noir et blanc de gratte-ciel new-yorkais, le papier recyclé fermé par un lien en cuir, les vignettes de manga, les paquebots, les fleurs exotiques. Elle tend la main vers une couverture mate, couleur pourpre, violine, avec des fleurs de cerisier stylisées, rose très clair, dessinées d’un trait léger. Les pages sont finement rayées de bleu, un chemin à suivre pour les mots, de longues veines pâles, des vaisseaux pour transporter le flot de son histoire.”
Gaëlle Josse, Ce matin-là, page 201
Pour terminer, pouvez-vous nous dire quelle lectrice vous êtes ?
Je lis deux à quatre livres par semaine, je suis une grande lectrice, très curieuse de la littérature française, étrangère et de la poésie. J’ai des livres de chevet temporaires. Je les range dans un coin à part de ma bibliothèque. Ce sont mes livres coup de cœur. Sinon, j’ai un tout petit livre que j’ai en plusieurs exemplaires, les Notes sur la mélodie des choses de Rilke. C’est un micro livre, qui doit faire 27 grammes, 63 pages, et qui vaut 3€10, chez Allia. C’est comme un tout petit carnet. Je l’ouvre souvent, et j’y trouve toujours quelque chose de très beau, inspirant, juste. Je l’ai beaucoup offert et suis très attachée à ce tout petit livre.
Actualités de Gaëlle Josse :
- Dernier roman, Ce matin-là, paru aux éditions Notabilia
Conseils de lecture de Gaëlle Josse :
- Notes sur la mélodie des choses de Rainer Maria Rilke aux éditions Allia
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