Cette semaine, le Journal d’Albion vous propose d’entrer dans les carnets de l’écrivain Jérôme Attal. Son dernier roman, La Petite sonneuse de cloches est paru chez Robert Laffont en août dernier. Aujourd’hui, il nous parle de ses carnets et de son inspiration, qu’il trouve entre Londres et Paris.
Tu as toujours un petit carnet sur toi ?
Oui, toujours. J’ai eu pas mal de petits carnets comme ça, rigide avec un élastique. J’ai aussi eu des petits carnets plus souples, lignés, et qui rentrent dans la poche intérieure d’une veste. C’est l’idéal. Mon plus grand truc ce sont ces petits carnets de poche. Maintenant, je dois avouer que j’utilise aussi beaucoup les Notes d’iPhone, parce qu’elles arrivent directement sur mon ordinateur.
Qu’écris-tu dans ces petits carnets ?
Ce sont plutôt des idées, des poèmes, des phrases ou des chansons. « Boulogne Billancourt, où je regarde la pluie tomber sur des immeubles en verre ». « Il nous est impossible d’aimer quelqu’un d’autre, c’est une trahison, c’est une trahison », ce sera dans l’une de mes chansons : « Je ne supporterai pas que tu en aimes un autre », que l’on peut toujours écouter sur Spotify. J’en ai des tonnes des petits carnets comme ça.
Et pour tes romans ?
Pour les romans, j’aime bien cette taille-là, plus grand, avec des pages blanches. Ce carnet-là était pour mon roman Les Jonquilles de Green Park.
Tes carnets sont totalement dédiés à l’écriture. Tu ne notes pas de listes de choses à faire, par exemple ?
Non, je retiens toujours les trucs à faire. Je ne les écris jamais. Mes carnets sont pour l’écriture de romans, de chansons, de textes, de nouvelles.
Tu emportes aussi partout ce carnet pour le roman ?
Oui, j’y note vraiment toutes les idées qui me viennent. J’écris aussi des passages. Quand c’est rayé, c’est que j’ai dû m’en servir pour le retaper sur ordinateur.
Où aimes-tu écrire ?
Quand je dois écrire un chapitre entier, j’aime être chez moi, avec mes livres, devant mon ordinateur. Pour prendre des notes, j’écris partout sur mes petits carnets de poche, en marchant. J’ai des idées en marchant dans Paris.
Tu ne te prends pas des poteaux de temps en temps ?
Non… Est-ce que dans la vie d’un homme normal, on se prend plus de poteaux que de râteaux ? Ou plus de râteaux que de poteaux ?
C’est une bonne question… Et alors, une idée de réponse ?
Plus de râteaux que de poteaux. (Rires) J’aurais bien échangé quelques râteaux contre des poteaux. J’ai habité ce quartier [nous sommes Rive gauche, proche d’Odéon] de 1988 jusqu’à il y a trois ans. J’ai aussi un peu habité à Auteuil, mais avec la ligne 10, je venais toujours ici. Et c’est dans ce triangle des Bermudes qu’est le boulevard Raspail, Saint-Michel et Saint-Germain, que j’ai passé mon temps à me promener, à écrire, à trouver des idées.
C’est dans ce quartier que vient l’inspiration ?
Oui, l’inspiration vient ici en marchant.
L’inspiration vient-elle aussi à Deauville, où tu habites ?
Non, à Deauville, je suis chez moi, donc je peux travailler à un bureau qui me plaît, où j’ai mes livres, où je me sens bien. J’ai une perspective. C’est une sorte d’atelier où je peux travailler sur du long cours. Mais l’inspiration, je la trouve à Paris ou à Londres. Depuis cinq ans, j’ai plus de plaisir à trouver l’inspiration à Londres, parce que la rue m’inspire plus. Ce qui sauve Paris, ce sont les nouvelles personnes qui arrivent et qui redécouvrent la ville. Mais je trouve que la vie est très violente à Paris, les gens sont agressifs, malpolis, la ville est sale. J’ai moins d’affinités avec Paris, que j’ai adorée toute ma vie. Puis grâce aux livres, je voyage beaucoup. Je suis très souvent partout en France, et je prends plus de plaisir à revenir à Paris, comme quelqu’un qui va y habiter de manière sursitaire. Alors qu’il y a dix ou quinze ans, c’était une punition pour moi de quitter Michel Ange Auteuil ou Sèvres Babylone. Je ne suis jamais parti en vacances de 1989 à aujourd’hui.
Tu n’es jamais parti en vacances ?
Je n’aime pas les vacances. J’ai l’impression que les choses se font sans moi. J’ai toujours des choses à écrire. Et depuis que j’ai découvert de manière plus intime Londres, j’y trouve une énergie. J’adore le bruit de la ville quand on est dans les parcs, la lumière, j’adore les filles à Londres, la manière dont elles évoluent. J’adore ce côté très poli des Londoniens. Peut-être que si j’y habitais, je trouverais ça pesant… Et puis il faut être riche, la condition d’auteur ne me permet pas malheureusement de vivre longtemps à Londres, mais à Paris non plus. Il n’y a plus de middle class. Cette ville devient soit pour les pauvres qui mettent des matelas dans la rue, soit pour les très riches qui prennent des taxis, qui vont de palace en palace, et qui ne voient rien hormis quelques tentes sur les boulevards périphériques.
Je vois que tu as d’autres carnets.
Oui, j’ai une troisième sorte de carnets, dans lequel j’écris mon journal intime. Ce sont des carnets qu’on m’offre. J’ai longtemps tenu un journal sur Internet. C’est comme ça que l’éditeur Stéphane Million m’a proposé de faire un premier roman. Mon journal était très lu à l’époque, de 1998 à 2008. C’était au tout début d’Internet, j’avais entre 3000 et 4000 lecteurs par jour. Il y avait peu d’écriture en ligne, et j’avais beaucoup de lecteurs francophones : des Québécois, des Français à New York… Ça leur plaisait d’avoir les aventures d’un jeune homme qui habitait Paris. Aujourd’hui, je ne le publie plus, mais je fais des Writer’s Life, une autre sorte de journal intime en plus condensé. Les carnets, c’était super pour aller dans les cafés. C’était avant que le MacBook ne se démocratise.
Dans quels cafés allais-tu ?
J’allais au Vieux Colombier, au Rouquet, j’adorais les banquettes rouges et la perspective sur le boulevard Saint-Germain, ou au Petit Suisse à côté du jardin du Luxembourg. J’ai eu des périodes de cafés comme ça. Maintenant, je vais au Café Madame, à l’angle de la rue Madame et de Vaugirard. J’y vais, car Loulou Robert a écrit ses premiers romans là-bas. Je sais qu’elle n’y va plus, donc si j’y vais, je ne la dérange pas. Et j’y vais en sachant que le spectre de Loulou est là, et ça me plaît. Quand je rentrais le soir, à Auteuil, je retapais sur mon ordi ce que j’avais écrit l’après-midi, et je postais en ligne mon journal. J’aimais l’idée du journal intime : quoi qu’il se passe dans la journée de mes lecteurs, ils savent que le soir, ils ont un rendez-vous. Et mon journal, je l’écrivais avec l’idée qu’il serait peut-être publié un jour, comme mes Writer’s Life aujourd’hui.
Pour conclure, peux-tu nous parler d’un livre qui t’a donné envie d’écrire ?
Il y en a plusieurs. Pour la jeunesse, c’est Charlie et la Chocolaterie de Roald Dahl. Et pour les adultes, je suis très fan des nouvelles de Salinger. J’adore « L’Homme hilare », « Juste avant la guerre avec les Esquimaux ». Ce sont de nouvelles qui me donnent envie d’écrire. Il y a aussi La Vie matérielle de Marguerite Duras, avec plein de petits textes. J’aime beaucoup les livres imparfaits, qui ne sont pas des chef-d’œuvre, mais qui sont poétiques et pleins de peps, comme Richard Brautigan. Ce sont des livres qui durent dans le temps. J’adore les livres que tu aimes avoir avec toi, que tu aimes offrir, avec un côté intemporel. J’adore les livres qui donnent envie d’écrire.
Conseils lecture :
- Journal de Jean-René Huguenin
- Les livres de Richard Brautigan
- La Vie matérielle de Marguerite Duras
- Charlie et la Chocolaterie de Roald Dahl
Prochaines parutions de Jérôme Attal :
- 6 février : J’aurais voulu être un Beatles, chez Le Mot et le Reste
- 12 mars : Alcie et la forêt des fantômes chagrins, avec des illustrations de Fred Bernard, chez R jeunesse
Atelier d’Albion propose des ateliers d’écriture en ligne et en solo, à découvrir par ici :