Cette semaine, à l’occasion de la sortie de son nouveau roman Encore une journée divine (Editions Noir sur blanc), l’écrivain Denis Michelis a accepté de nous ouvrir les pages de ses carnets. Entretien.
Comment utilises-tu tes carnets ? En utilises-tu plusieurs en même temps ?
Ça dépend des périodes. Je dis toujours que je n’ai jamais écrit avant l’âge de 33 ans, mais c’est faux. Ma mère a retrouvé des carnets qui datent de l’école primaire. J’avais écrit une histoire, une sorte de thriller, avec un Mike. C’est un carnet collector. Par souci de nostalgie, j’essaie de retrouver aujourd’hui des carnets qui ressemblent à mes carnets d’enfance. Si on ouvre celui-là, on trouve un de mes projets qui se déroule uniquement au petit-déjeuner des hôtels. Il devait s’appeler All inclusive. J’ai pris pendant des années des notes au petit-déjeuner. Avant, je pensais naïvement qu’il fallait prendre des notes et regarder autour de soi pour pouvoir écrire. Finalement, ça ne fonctionne pas trop pour moi… Dans mes carnets, je note aussi des idées d’intrigue, des situations dramatiques. Là, sur cette page, c’est l’histoire d’une maison qui a été vendue, d’un héritage parce que la mère est morte, la moitié revient au fils, mais le père refuse de vendre. Ce sont des situations, mais qui ne sont pas nées de l’observation. En général, mes livres sont construits autour d’une intrigue, d’un nœud dramatique que j’essaye de dénouer. Je note aussi des thématiques, des rêves, même des cauchemars… Mon premier roman a d’ailleurs été écrit d’après un cauchemar. J’ai un rapport étrange aux carnets. J’inscris des choses, puis je les abandonne. Une partie de ma bibliothèque n’est consacrée qu’à eux. Je les entasse depuis vingt ans, mais je ne les ouvre jamais. Ça me fait peur, je crois.
Tu prends donc des notes, mais elles ne te servent pas vraiment pour écrire tes romans. Quelle utilité a donc le carnet pour toi ?
Il me rassure. Dans des circonstances très précises, en particulier pour les nouvelles (même si elles sont rarement publiées), je prends des notes. L’une des dernières, qui a été publiée, est inspirée du travail de ma cousine, qui travaillait au service consommateur d’entreprises comme Saupiquet. Par exemple, sur une page, on peut lire qu’un type a appelé parce qu’il avait compté tous les sucres dans sa boîte de Béghin Say et qu’il en manquait deux. Ça me fascine. Dans ce cas, je prends des notes et je m’en sers.
Je vois que tu as un autre carnet.
Oui, celui-là, je l’utilise vraiment. Il s’appelle les « Belles phrases ». Dès qu’un passage me plaît dans un roman, je le note, et pour que ce soit plus drôle, je ne note ni l’auteur ni le titre du roman. Ça m’évite de plagier, et puis je les reconnais la plupart du temps. Ce sont souvent des descriptions, puisque je trouve que c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire. Là, j’ai noté « un soleil anémique », je sais que c’est Chessex. C’est un peu mon dictionnaire. On trouve beaucoup de phrases de Joyce Carol Oates aussi. Je la connais par cœur. Quand je me relis après mes premiers jets, je regarde dans ce carnet et j’essaye de faire aussi bien. Ce carnet, j’ai peur de le perdre, donc je le garde toujours chez moi.
D’ailleurs, tu as toujours un carnet sur toi ?
Oui, toujours. Mais ça peut être un carnet où j’ai un bout d’All inclusive de 2005, trois notes prises il y a cinq ans pour la présentation d’un roman et un cauchemar. Ce que contiennent ces carnets est très important pour moi. C’est l’une des rares choses que je n’ai pas perdues. On m’offre souvent des carnets. D’ailleurs, si tu pouvais glisser qu’on peut arrêter de m’en offrir… J’en ai suffisamment, et j’aime bien les choisir ! (Rires)
As-tu un rapport à l’écriture manuscrite ?
Non, mais j’essaye pour le prochain. J’aimerais écrire un roman sous la forme d’un journal intime, donc j’ai commencé à écrire à la main sur un carnet, puisque le personnage le fait.
D’ailleurs, pour en venir à ton nouveau roman, Encore une journée divine, comment es-tu venu à écrire sous cette forme de monologue ?
Alors ça porte un nom bien précis, c’est un monologue adressé. Albert Camus, dans La Chute, l’utilise. Un personnage s’adresse à haute voix à quelqu’un d’autre, qui est hors champ. Cette idée est venue, car j’écris la plupart du temps des monologues intérieurs. Avec Sophie Daull, j’avais travaillé pour un projet de théâtre. Ça faisait longtemps que je voulais écrire pour le théâtre, donc je me suis lancé. C’est donc le monologue d’un psy, qui lui-même a mal tourné dans son métier, puisqu’il est en hôpital psychiatrique. Il aurait inventé une méthode révolutionnaire pour soigner les maux, il en a fait un livre qui s’appelle Changer le monde, qui est soi-disant devenu un best-seller. On peut aussi y lire un roman familial sur l’histoire de ce personnage principal un peu vieillissant, son père et son frère, avec la jalousie qui naît au sein d’une fratrie, quand l’un d’eux n’a pas eu la reconnaissance du père. C’est aussi le quotidien d’un institut psychiatrique. Vraisemblable, puisqu’il y a quelques années, j’allais souvent visiter un proche à Sainte-Anne. J’avais tout observé et pris des notes. C’est un quotidien rythmé par les repas, la venue du psy, des infirmiers, par les médicaments, par cette possibilité ou non de pouvoir sortir, de pouvoir aller au parc, combien de temps… Si l’on résume, c’est un personnage qui, à un moment de sa vie, ne croit plus en son métier et prend la mauvaise décision.
Toi qui animes des ateliers d’écriture (à l’école Les Mots), aurais-tu un conseil à donner aux jeunes auteurs qui veulent se lancer ?
J’ai plein de conseils… Je suis pour que la forme épouse le fond. Je ne crois pas que tout soit dans la forme. Il ne faut pas oublier l’intrigue, ni sous-estimer le plaisir du lecteur, même le plus lettré et intellectuel, d’être stimulé par une intrigue. On a tendance, pour des raisons historiques, à penser que l’intrigue n’est pas si importante. Sauf qu’aujourd’hui, les séries ont tout changé. On ne peut plus faire en littérature, comme si ça n’existait pas… Ce n’est pas possible. Il ne s’agit pas de copier les séries, mais d’avoir une bonne connaissance des mécanismes du récit (qui remontent au commencement de la littérature). Enfin, le jeune auteur doit aussi être humble et apprendre à ne pas trop se regarder écrire…
Enfin, qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ?
Joyce Carol Oates, dans La foi d’un écrivain, parle du passage du moment où tu écris pour toi au moment où tu écris pour les autres. L’écriture est la question du public et du privé. Au début, j’écrivais pour moi, et je ne voulais pas nécessairement que les gens le lisent. Une fois que c’est publié, ça devient public. L’élément déclencheur a été la saturation de mon métier de journaliste. Il fallait que je trouve une échappatoire, une autre occupation et un métier plus créatif.
Informations :
La soirée de lancement d’Encore une journée divine aura lieu mercredi 22 septembre à la Librairie L’Impromptu (48 rue Sedaine à Paris), en présence de l’actrice Sophie Daull.
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