Cette semaine, l’écrivain et photographe Sandrine Roudeix nous ouvre ses carnets. Son dernier roman, Ce qu’il faut d’air pour voler (éditions Le Passage), paraît en cette rentrée littéraire, le 7 janvier prochain. Il nous parle de la relation entre un mère et son fils, et du syndrome du nid vide. Le fameux syndrome que subit la mère, lorsque l’enfant décide de partir de la maison. Entretien.
Sandrine, tu es photographe, écrivain et scénariste, comment organises-tu tes carnets au quotidien en fonction de toutes tes activités ?
J’ai eu jusqu’à 7 carnets en même temps. Je me suis un peu calmée, mais je suis une vraie fille à carnets. J’ai une mémoire de poisson rouge, et un petit côté obsessionnel qui a besoin d’écrire. J’ai un carnet de brouillon qui dure environ un mois, et qui finit à la poubelle. J’y note mes rendez-vous, mes courses… J’ai aussi un carnet d’écriture, où j’écris des idées, des phrases qui me viennent, mais ce n’est pas systématique. J’écris beaucoup à l’ordinateur. Alors le carnet d’écriture arrive plutôt dans une deuxième phase, quand j’ai commencé à écrire sur traitement de texte et que je retravaille. Le carnet d’écriture me sert surtout quand je voyage, puisque je n’emmène pas mon ordinateur avec moi. J’ai aussi un carnet de psy, où je note les retours de séances, des prises de conscience, des envies, des objectifs à atteindre dans l’année. J’ai aussi un carnet de culture, où je note mes lectures, des phrases que j’aime, des retours de films, ou des sujets culturels que je ne maîtrise pas, pour avoir des arguments. Il est aussi en lien avec mon travail de photographe et mes portraits, puisque lorsque je rencontre des gens, c’est dans ce carnet que je note des éléments avant de les rencontrer, quand je ne les connais pas. J’ai aussi un carnet de films, tout petit, où je note des listes de films à voir. À côté de ça, j’ai un carnet de réalisation et d’analyse de films. À la maison, j’en regarde certains avec un crayon à la main. J’écris des scènes, des plans, je fais des dessins… Ça nourrit aussi mon travail de photographe. Dans ces carnets, il y a ceux qui nourrissent le côté écriture et d’autres plutôt la photo. Pour compléter ce grand maelström, j’en ai un dernier pour les listes. C’est carrément obsessionnel, mais j’adore m’y replonger. J’écris le top 10 de mes plats préférés, de mes musiques écoutées dans l’année, de mes films, de mes restaurants parisiens, de mes lieux refuges, de mes 10 cadeaux d’anniversaire rêvés, de mes 10 prénoms préférés de personnages. Ça rejoint à la fois le perso et l’écriture. Ce carnet pose la question de l’identité : qui je suis aujourd’hui à travers ces listes. Quand je choisis les 5 cadeaux d’anniversaire rêvés, ça me définit aujourd’hui. Dans trois ans, sans doute que cette liste changera. À chaque fois, c’est une manière de me demander où j’en suis. Choisir, c’est se définir, et j’adore faire des listes.
Qu’aimes-tu dans ce rapport aux carnets ?
Je l’emmène partout. Le carnet est un prolongement de moi. C’est une troisième main et une troisième tête. Je n’écris pas très bien, donc j’ai parfois du mal à me relire, ce qui explique que j’écrive mes manuscrits directement à l’ordinateur. Quand je travaille sur mon roman, je suis disciplinée, je m’y penche tous les matins. Je me lève tôt et j’écris. Le rapport aux carnets, c’est le voyage quand je pars dans des pays lointains, mais c’est aussi quand je voyage dans ma journée en métro. Quand j’ai une idée, je sors un carnet.
Tu viens de dire que tu écrivais tous les matins. Ritualises-tu l’écriture ?
Oui, je suis une petite fourmi. J’ai besoin de me discipliner. Je me lève et, dès 8 h 30, je me mets devant mon ordinateur. J’ai besoin de cette régularité pour aller jusqu’au bout, même s’il y a des hauts et des bas, des doutes, des jours où je me dis que ça ne va pas intéresser les gens. L’élan de chaque matin me permet, lentement mais sûrement, d’arriver à la dernière page. Je disais que j’étais une fourmi, mais en fait je suis une écrivaine tortue. Mon dernier roman, je l’ai commencé sur ordinateur, pendant un voyage en Grèce. Je l’avais exceptionnellement emmené avec moi. Tous les matins j’écrivais, et l’après-midi je me promenais avec mon carnet d’écriture.
Te donnes-tu une contrainte de temps ou un nombre de pages à respecter chaque matin ?
J’ai des amies qui se contraignent à 500 mots tous les matins. Moi, non. Je me donne juste la matinée, de 8 h 30 à 12 h 30. Si rien ne sort, je regarde ma page. Il y a des rouages qui nous échappent. Je vois vraiment des pièces de métal qui se mettent en branle, et ça roule tout doucement, mais ça avance tous les matins.
Les carnets de Sandrine Roudeix / ©Sandrine Roudeix
Justement, peux-tu nous parler de ton dernier roman Ce qu’il faut d’air pour voler, qui paraît jeudi prochain aux éditions Le Passage ?
Ça raconte la relation mère-fils, de la naissance à l’âge adulte. Pour la première fois, c’est un roman autobiographique, autofictionné. J’ai choisi d’écrire 20 chapitres, pour 20 années de vie, à travers 20 séparations et 20 photographies qu’on ne voit pas. Je suis « je » et je suis moi pour la première fois dans un roman. Dans mes autres livres, j’employais le « je », mais j’étais Diane Arbus, ou mon père, ma mère, mes grands-mères… Même si j’utilisais mon matériau familial, je me mettais dans la tête de tout le monde, et les situations étaient inventées. Là, mon fils s’appelle Malo, et le livre lui est dédié. J’ai essayé d’écrire avec une distance, mais je n’y arrivais pas. Donc j’ai fait un pacte de vérité. Cela n’empêche pas d’avoir une forme. Je raconte que la séparation ultime, avec l’arrivée du syndrome du nid vide, est finalement faite de toutes ces petites séparations qui jalonnent la vie d’une maman et de son fils dès la naissance, et qui aboutissent à ce grand baby blues. Cela passe par la séparation des corps à la naissance, des bras quand l’enfant se met à marcher, de la pensée quand il commence à dire « non », puis de l’entrée à l’école, de la première amoureuse, du premier envol du séjour linguistique… J’autopsie comment une jeune femme — que j’étais quand je l’ai eu, puisque je me suis mariée à 23 ans, et qu’il est né quand j’en avais 25 — est devenue femme en devenant mère. C’est un parcours d’émancipation et de quête. Je ne savais pas qui j’étais quand je me suis mariée, ni quand j’ai eu un enfant, ni quand je l’ai élevé. La séparation ultime du syndrome du nid vide réactive toutes les séparations précédentes.
Pour terminer, peux-tu nous dire ce qui t’a donné envie d’écrire et de devenir photographe ?
L’écriture, j’y suis venue par le théâtre et la poésie. Quand j’avais 12 ans, je faisais du théâtre au Conservatoire d’art dramatique de Toulouse. Je me suis vite rendu compte que je n’étais pas à ma place sur les planches. Le regard des autres me bloquait. En revanche, j’ai trouvé dans l’apprentissage des textes, une espèce de colonne vertébrale d’identité. Je passais mes week-ends à apprendre des tirades entières de théâtre et de poésie : Antigone, Rimbaud, Aragon, Prévert… C’est en aimant les mots des autres que j’ai eu envie d’en créer aussi. Le passage de l’écriture personnel à l’écriture publiée et publique est venu par la photographie. En devenant photographe, j’ai eu l’espace, le temps et les conditions financières pour me lancer dans l’écriture d’un roman. Je me suis improvisée photographe après avoir passé dix ans dans l’édition, où je faisais du marketing. Je n’étais pas du tout heureuse de ce côté-là de la barrière, mais je n’osais pas encore me dire que je voulais être écrivain. Un jour, je suis partie en voyage, j’ai acheté un appareil photo par hasard à l’aéroport, avant de partir pour le Pérou. La photographie m’est tombé dessus, et j’ai découvert que c’était mon rapport au monde. Il y a quelque chose de très instinctif dans la photo, un ancrage au présent et un rapport aux autres. En revenant de ce voyage, je suis devenue journaliste pour plusieurs journaux, puis photographe pour Le Journal du dimanche. À partir de ce moment, j’ai compris que je voulais garder la photo en manière de vivre et pour gagner ma vie, et écrire pour moi à côté.
Et quels sont les livres que tu aimes et qui t’ont donné envie d’écrire ?
Plutôt des romans contemporains. Je suis curieuse des écritures d’aujourd’hui, parce qu’elles me nourrissent. Se perdre d’Annie Ernaux, À Suspicious river et Un oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasischke, Philippe Djian, Nancy Huston, John Fante, Richard Brautigan, King Kong Théorie de Virginie Despentes. Il y a une quête de sens et de vérité qui me touche. Dans les livres qui m’ont donné envie d’écrire, il y a aussi les photographes, comme Raymond Depardon. Son livre Errance est un livre de chevet, qui me donne envie de me questionner. Il y a aussi les carnets intimes de Diane Arbus, que l’on trouve dans un grand livre de photographie, mais aussi L’Œil du silence de Marc Lambron sur Lee Miller.
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