Cette semaine, le Journal d’Albion vous propose d’entrer dans les carnets de l’écrivain et animatrice d’ateliers d’écriture Pauline Baer de Perignon. Son premier livre, La Collection disparue, vient de paraître aux éditions Stock. Entretien.
Comment utilisez-vous vos carnets au quotidien ?
J’ai vraiment commencé à écrire sur des carnets quand j’ai lu Libérez votre créativité, le livre de Julia Cameron. Elle propose à ses lecteurs d’écrire trois pages tous les matins, alors j’ai suivi sa méthode. Normalement, j’ai un seul carnet sur lequel je note tout. J’ai essayé d’en avoir plusieurs par catégorie, mais je n’avais jamais le bon quand il fallait. Maintenant, j’ai toujours un carnet où je note mes idées sur le projet en cours, ou lorsque je suis en rendez-vous. Il me sert à tout. Tout est mélangé, je mets juste la date. Le problème, c’est que j’ai plein de carnets en cours. Parfois, je les perds, alors j’en commence d’autres. Et quand je cherche un numéro de téléphone très important, je ne sais jamais dans quel carnet il est.
Avez-vous un rapport à l’écriture manuscrite ?
Alors, oui, j’ai besoin d’écrire à la main. J’adore le stylo plume, le contact du papier. Pour mon livre, j’ai pris des notes sur des carnets durant toute mon enquête, quand j’allais dans des centres d’archives et que je rencontrais des gens. Au moment de mettre en forme, j’ai repris mes carnets (une dizaine en deux ans), je les ai relus, stabilotés, j’ai apposé des marque-pages sur ce qui m’intéressait, et j’ai tapé mon texte après. En revanche, pour rédiger un brouillon, c’est plus rare que j’utilise le carnet directement. Pour mon prochain projet, j’ai écrit tout mon plan détaillé sur un carnet. Je pense qu’on ne peut pas tout faire à la main, mais la phase d’idées passe par la main.
Justement, votre premier livre, La Collection disparue (paru en septembre aux éditions Stock), raconte votre enquête autour de la collection disparue de votre grand-père, Jules Strauss. Au cours de vos recherches, vous retrouvez justement ses carnets, dans lesquels il notait l’histoire des œuvres d’art qu’il achetait.
Mon oncle avait en héritage un carnet écrit à la main de mon arrière-grand-père. Dans ce carnet, qui date de 1930, il notait tout ce qui passait dans sa collection, et tout ce qu’il savait sur chacune des œuvres. Il notait à la plume et corrigeait au crayon. Ce sont des espèces de catalogues de collectionneur. C’est assez touchant, puisque c’était très important pour lui de noter ce qu’on appelle la provenance. Autrement dit, l’histoire d’un tableau : je l’ai acheté à untel, avant il appartenait à untel, on le voit dans telle exposition et il est mentionné dans tel livre. C’est génial pour moi, chercheuse sur la collection de mon arrière-grand-père, puisque c’est l’idée de mon livre : qu’est devenue cette collection ? Par exemple, s’il n’avait pas écrit : « Acheté chez untel en telle année », ou « exposé au Jeu de Paume en telle année », les œuvres auraient été difficiles à retrouver. Cette manie, le fait d’avoir tout noté, puisqu’il était collectionneur/chercheur, m’a beaucoup aidé. Maintenant que vous me dites ça, je pense que si quelqu’un devait un jour récupérer mes carnets, il n’apprendrait pas grand-chose à part la liste de courses mélangée aux pensées du jour.
Dans votre livre, on apprend aussi que vous animez des ateliers d’écriture. Toute votre vie est tournée autour de l’écriture.
J’étais lectrice de scénarios pour une société de production, et je m’occupais des auteurs. Un jour, j’ai co-écrit un scénario et j’ai découvert que lorsque l’on doit écrire soi-même plutôt que de faire des commentaires, c’est beaucoup plus difficile. Donc j’ai voulu me former pour aider les gens à écrire. J’ai trouvé les formations qui me correspondaient le mieux aux États-Unis, avec l’écriture créative, très ludique pour développer l’imagination. À partir de ce que j’ai appris dans les livres, et dans mes cours d’art thérapie (l’écriture pour se sentir bien), j’ai animé des ateliers d’écriture où il n’y a pas d’enjeu de qualité ni enjeu littéraire. Après, j’ai aussi animé des ateliers d’écriture plus personnels sur la structure du récit, les enjeux. J’aimais bien faire les deux.
Et vous voyez une progression de vos participants ?
Je pense qu’il y a deux sujets. D’abord, est-on en droit de promettre à quelqu’un que, parce qu’il va suivre un atelier, il va être publié ? Ou fait-on un atelier pour que les gens s’expriment ? Il y a les ateliers d’expression, qui se rapprochent de l’art thérapie, où on partage, où on s’amuse. Puis il y a les cours comme chez Gallimard, avec l’objectif précis d’arriver à une forme. Et même là, on ne peut pas promettre aux gens qu’ils vont avoir du talent et qu’ils vont réussir à écrire quelque chose qui va être publié. Il faut être très prudent.
Pour en revenir à votre propre expérience de l’écriture, avez-vous des rituels ?
Pour avoir lu pas mal de livres sur l’écriture, désolé les gars, mais il n’y a pas de recettes ! Je ne suis pas très disciplinée, donc il faut que ce soit du plaisir. Et mon plaisir, c’est de m’asseoir le matin à ma table, quand il n’y a plus personne chez moi, avec un bon thé et mon cahier, en me sentant un peu libre, tranquille et au calme. Mais je n’ai pas de conseils à donner, si ce n’est que ce soit un plaisir. On n’a aucune raison de le faire. Personne n’attend votre livre, il y en a assez comme ça. Donc si l’écriture n’est pas un plaisir, ne le faites pas. En atelier, j’entendais beaucoup de gens dire : « J’ai toujours rêvé d’écrire, mais je ne m’y suis jamais vraiment mise, parce que je n’avais pas le temps. » J’ai compris qu’en réalité, personne n’a jamais le temps. On n’aura jamais le temps. Ne nous mentons pas à nous-mêmes, le temps, on le prend sur d’autres choses. Les gens qui disent : « J’ai toujours rêvé, mais je ne l’ai pas fait », c’est qu’ils n’en ont pas tellement rêvé, sinon ils l’auraient fait.
Au départ, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ?
La poésie. Quand j’étais adolescente, j’ai commencé à lire Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé. Mon père adorait la littérature, et il citait tout le temps des petites phrases de Montaigne. Mon parrain, Jean d’Ormesson, venait souvent à la maison. J’ai baigné dans la littérature toute ma vie, donc ça me fascinait. J’adorais l’émission « Apostrophes ». C’était tellement intéressant. J’ai commencé par lire de la poésie, et même si je ne comprenais pas tout, je trouvais que ça sonnait magnifiquement. Ce qui m’a découragé, ce sont les dissertations et les rédactions. Elles m’ont éloignée de mon envie, parce que je n’étais pas très bonne, et qu’elles donnaient beaucoup de contraintes, le contraire de l’écriture créative. J’ai mis beaucoup de temps à m’y mettre, à cause de complexes liés à mon entourage de gens brillants. L’autre meilleur ami de mon père était aussi Académicien. J’avais envie, j’étais fascinée, mais je n’avais pas trouvé mon chemin. J’ai lu beaucoup de livres de développement personnel, que ce soit Julia Cameron (qui aide à trouver ce qu’on aime et qui on est vraiment), ou encore Elizabeth Gilbert, avec son livre Comme par magie, qui va contre les idées reçues sur l’écriture.
Quels sont les livres sur l’écriture que vous avez lus et aimés ?
Writing down the bones de Natalie Golberg, qui est une américaine, professeure d’écriture créative dans le Nouveau-Mexique. Elle accompagne l’écriture d’une pratique un peu spirituelle, et elle cherche à savoir qui on est, quel est notre type d’écriture, d’où l’on vient, qu’est-ce que l’on a à dire. C’est de l’introspection pour arriver à l’écriture. Une écriture nécessaire. Ça m’a beaucoup frappée, parce qu’en effet, on ne peut pas détacher l’un de l’autre. On ne peut pas chercher un sujet pour écrire, mais plutôt chercher ce que l’on a à dire. Si j’éprouve ce besoin de m’exprimer, qu’est-ce que j’ai, au fond, à dire ? Ce n’est pas juste s’exprimer pour s’exprimer.
Actualité de Pauline Baer de Perignon :
- La Collection disparue, éditions Stock
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