Tatiana de Rosnay nous fait le plaisir cette semaine de nous ouvrir ses carnets. Elle adore écrire à la main ses idées, avant de se lancer dans l’aventure du roman sur son ordinateur. Elle revient sur sa passion pour Daphné du Maurier et Emile Zola, ainsi que sur son travail d’écriture. Entretien.
Quel est votre rapport aux carnets ?
Les gens savent que j’aime les carnets, donc on m’en offre souvent. Je prends des notes, mais mon problème est que je n’arrive pas toujours à me relire. Mes carnets me servent à noter des choses importantes, le nombre de signes de mes livres pour avoir une idée de leur grandeur, ou encore les choses que je dois faire… J’ai commencé à écrire des romans à l’âge de dix ans, en plus des journaux intimes. Mes premiers romans sont écrits à la main dans des carnets Clairefontaine. Quand j’ai eu 12 ans, mon père m’a offert sa machine à écrire Olivetti. J’ai très vite appris à taper. Puis il y a eu l’avènement de l’ordinateur. Mon père est un grand futurologue et scientifique. Il a eu accès très vite au premier petit Macintosh. Alors j’ai perdu l’habitude d’écrire à la main, et j’ai écrit tous mes livres sur ordinateur… Sauf un : Rose, un roman épistolaire. Je n’arrivais pas à écrire ce livre sur ordinateur, donc j’ai tout écrit sur une dizaine de carnets : le roman écrit à la main et toute la recherche effectuée en amont à la Bibliothèque nationale.
Donc vous écrivez vos romans sur ordinateur, mais qu’en est-il de la prise de notes ?
Pour la prise de notes, j’écris sur des carnets. En anglais ou en français, puisque je suis bilingue. Ce sont des notes, des idées, parfois je fais un plan. Pour Les Fleurs de l’ombre, j’ai écrit toute la construction sur un carnet, avec la timeline de Clarissa. C’est un roman qui se passe dans le futur, alors j’ai beaucoup travaillé autour des dates. Ce carnet était une bible pendant l’écriture. Ce n’est pas possible d’écrire ça sur un ordinateur. On a besoin d’y revenir, de barrer, de le reprendre. Il m’arrive parfois de prendre des notes sur mon téléphone, voire de dicter, mais le carnet est ma façon de rester fidèle à l’écriture manuscrite. Tous les romans qui naissent viennent de quelques phrases que je jette comme ça sur un carnet. Passer par l’écriture, c’est comme le grain à moudre. Vous donnez un coup de moulinette, et ces phrases écrites à la main nourrissent ensuite le roman.
Et vous en parliez tout à l’heure, vous êtes bilingue. Comment choisissez-vous la langue avec laquelle vous décidez d’écrire un nouveau roman ?
Pour Les Fleurs de l’ombre, j’ai écrit en anglais et en français en même temps. Je ne suis pas prête à recommencer… En revanche, celui que je suis en train d’écrire, il est en français. Je pense l’adapter moi-même en anglais, mais après. Écrire simultanément dans les deux langues, j’ai aimé le faire, mais c’est trop… Si je vous montre le carnet qui me sert pour le roman que je suis en train d’écrire en français, vous voyez, il y a quand même des phrases en anglais. Quand je prends des notes, je ne fais pas attention à la langue.
D’ailleurs, en quelle langue avez-vous écrit Manderley for ever, la biographie de l’écrivaine britannique que vous adorez, Daphné du Maurier ?
Elle est un très grand personnage pour moi. L’éditeur qui m’a commandé ce livre m’a demandé de l’écrire en français. Au début, j’ai eu beaucoup de mal, parce que j’ai toujours lu Daphné du Maurier en langue originale, et toute la documentation sur elle est évidemment en anglais. À partir de toutes ces notes, il a fallu trouver le ton en français. J’ai dû me faire violence. Ce qui m’a sauvé, c’est toute la partie de la vie de Daphné du Maurier en France. Personne ne s’y était jamais intéressé. Et toute la documentation sur cette période était en français, ce qui m’a permis de me réapproprier l’histoire.
Et je vois que vous ne finissez pas vos carnets…
Non, parce que c’est sacré. Un carnet est pour un livre. J’ai l’impression que ça me porterait malchance si j’écrivais dessus autre chose, mais je les garde tous précieusement.
Vous gardez tous vos carnets ?
Oui, je les garde tous. Dans ma cave, j’ai un grand carton sur lequel il est écrit « Ne pas publier si je meurs ». Il y a tous mes carnets de notes, mes journaux intimes de l’âge de 10 à 30 ans. J’ai vingt carnets, très beaux, différents, en cuir, ou à l’effigie de choses qui me plaisaient quand j’étais adolescente, lignés le plus souvent. On y trouve plein de détails sur ma vie amoureuse, sur ma famille, beaucoup d’interrogations sur l’écriture. Je me demande si c’est un métier, ou encore si je vais percer un jour…
Pour conclure notre rencontre, pouvez-vous nous parler des livres que vous aimez ?
Alors, avec le confinement, j’ai eu une panne de lecture totale, alors que je suis vraiment une grande lectrice. Suite à cela, je me suis rendu compte que je n’avais plus rien à dire sur Instagram. J’ai relu Rebecca de Daphné du Maurier pour la énième fois. Et cet été, dans ma maison de campagne, où j’ai tous les Rougon-Macquart de Zola, je me suis dit : « Tiens, et si je relisais Zola aujourd’hui. » Je prends L’Assommoir. Et là, quelle claque ! J’étais Gervaise, je me battais dans le lavoir, les odeurs, les images, les couleurs, la sensation, le goût. J’ai relu la biographie de Zola par Troyat, Madame Zola d’Évelyne Bloch-Dano, et tout ce que j’avais sur Zola. Alors, au lieu de parler de la rentrée littéraire sur Instagram, j’ai décidé de parler une à deux fois par semaine d’Émile Zola. D’ailleurs, un matin, début septembre, j’apprends en regardant Télématin, qu’une lettre de Zola écrite pendant son exil en Angleterre a été retrouvée, et qu’elle est au Salon du livre rare, au Grand Palais, à Paris. J’ai pu la lire, ça a été un moment inouï de lire cette petite écriture.
Et avez-vous des livres qui vous ont donné envie d’écrire ?
Plusieurs auteurs ont passionné la jeune lectrice que j’étais, et que je suis toujours. Pour moi, l’écriture est vraiment liée à la lecture. Je dévorais d’une façon très précoce Oscar Wilde, Rebecca de Daphné du Maurier. Je dirais que Rebecca m’a mise sur la piste de l’écriture. Le Journal d’Anne Franck m’a aussi bouleversée et beaucoup touchée. Et des auteurs comme Virginia Woolf, Zola, m’ont donné envie d’explorer plusieurs formes d’écriture, notamment l’intérieur, avec la noirceur de Zola.
Le dernier roman de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre, est paru en mars dernier en co-édition Robert Laffont & Héloïse d’Ormesson.
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