Cette semaine, nous entrons dans les carnets de François-Henri Désérable, écrivain, dont le dernier roman, Mon maître et mon vainqueur, vient de paraître chez Gallimard. Dans ce roman, le carnet a une place capitale, tout autant que dans la vie de l’écrivain. En quelques mots, il nous entraîne dans son bureau et à l’intérieur même de ses carnets. Entretien.
Que trouve-t-on dans ton bureau ?
En ce moment, mon ordinateur, un MacBook Air que j’ai choisi pour sa légèreté. Un portrait de Romain Gary. Un dessin de Françoise Gilot par Picasso (celui du 1er mai 1946). Accroché au mur et encadré, le poème « Liberté » de Paul Éluard, illustré par Fernand Léger. Une pierre ramassée à Potosí, en Bolivie, dans les entrailles du Cerro Rico, une mine exploitée pour son argent – pour me rappeler dans les moments d’accablement que l’écriture, c’est peut-être la galère, mais ça n’est pas la mine. Et des livres – pas mal de trucs sur le vin (je suis des cours d’œnologie).
As-tu des rituels d’écriture ?
Pas de rituels particuliers. Mais des conditions nécessaires à l’écriture : une longue plage de temps disponible (deux heures au moins – je ne me dis jamais « tiens, j’ai un quart d’heure devant moi, est-ce que je ne pourrais pas écrire quelque chose ? »), du silence (je n’écris ni dans les transports ni dans les cafés) et de la solitude (il me faut être seul dans l’endroit où j’écris). Le plus souvent, c’est chez moi, à mon bureau, le matin ou la nuit. L’après-midi, je lis.
Dans ton dernier roman, Mon maître et mon vainqueur, le carnet a une grande place, puisque tous les poèmes de ton personnage, Vasco, se trouvent dans un cahier. Pourquoi avoir donné au cahier une place aussi centrale ? Que représente-t-il pour toi ?
Le cahier est même, avec un revolver, l’élément central de cette histoire, puisque Vasco y a écrit des poèmes censés donner au juge la clé de compréhension d’une histoire d’amour passionnelle qui l’a mené à être incarcéré. Mais comme Vasco se refuse à parler, le juge convoque son meilleur ami, le narrateur, qui en se faisant l’exégète des poèmes, va aider le juge à résoudre l’enquête.
Comment utilises-tu tes propres carnets au quotidien ?
Il y a peu, l’excellente revue Décapage a fait un dossier sur l’usage que font les écrivains du carnet. J’ai eu l’occasion de préciser le rapport que j’entretenais avec les miens. Voici ce que j’ai pu dire là-dessus : « J’ai toujours sur moi un carnet – toujours. Et c’est toujours un carnet de poche (85 x 125 mm), de la collection Papeterie Gallimard. J’y note, au crayon à papier, des morceaux de prose, des poèmes écrits par d’autres et que j’apprends par cœur. Ouvrons celui que j’ai sous la main : j’y trouve un dialogue des Femmes savantes, entre Philaminte et Trissotin ; cinq poèmes de Rimbaud (Ma bohème, Au Cabaret vert, Sensation, Roman, Le dormeur du val) ; un extrait de Faire l’amour, de Jean-Philippe Toussaint ; un autre de Manosque-des-Plateaux, de Jean Giono ; l’excipit de Vie d’André Dufourneau, qui ouvre les Vies minuscules de Pierre Michon ; deux quatrains du Condamné à mort, de Jean Genet ; la première page de L’usage du monde, de Nicolas Bouvier ; un passage où Kerouac nous parle des « furieux du verbe », dans Sur la route ; Les yeux d’Elsa, le poème d’Aragon ; la fameuse ellipse du dernier chapitre de L’éducation sentimentale ; un sonnet méconnu mais magnifique de Yourcenar, etc. Tout ça, c’est désormais dans ma tête. Ces petits blocs de prose, ces vers-là font partie intégrante de qui je suis : ils cadencent les temps morts de mon existence, puisque souvent, quand je suis seul, je les récite pour moi-même, pour adoucir, comme disait Borges, le cours du temps. Ces carnets-là, tissés des mots d’autres écrivains que j’aime et admire, j’en ai plus d’une douzaine, et la collection chaque année s’agrandit. (Mais quand il s’agit de prendre des notes pour moi, pour mes propres romans, c’est beaucoup plus prosaïque : je le fais sur mon iPhone, et tous les quinze jours à peu près je reporte le tout sur un fichier Word.) »
Qu’aimes-tu dans ce rapport aux carnets et à l’écriture manuscrite ?
J’aime assez peu mon écriture. Je ne sais pas tenir mon stylo, je n’ai jamais appris, ce qui donne une écriture enfantine, mais qui a au moins la vertu d’être très lisible (je n’aurais jamais pu être médecin). Je n’éprouve pas particulièrement de plaisir à écrire à la main : c’est long, souvent fastidieux, mais ce qui me plaît dans l’écriture manuscrite, c’est la solennité qu’elle confère à ce que nous avons à dire d’important : qui irait taper une lettre d’amour à l’ordinateur ? Personne. Il y a des choses qui ne peuvent s’écrire qu’à la main.
Pour terminer, peux-tu nous parler du livre ou de l’événement qui t’a donné envie d’écrire ?
J’en ai déjà un peu parlé dans Un certain M. Piekielny, mon précédent roman, où je partais à la recherche d’un personnage évoqué par Romain Gary dans La Promesse de l’aube. J’avais dix-huit ans, je jouais beaucoup au hockey sur glace, et les heures où je n’étais pas sur la glace, patins aux pieds, je les passais à la bibliothèque. C’est après la lecture de Belle du Seigneur, d’Albert Cohen, après avoir refermé chef-d’œuvre de 1111 pages, que j’ai pensé : voilà ce que je veux faire de ma vie, voilà comment je voudrais emplir le cours de mon existence : en lisant en écrivant.
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