Cette semaine, c’est au tour de l’écrivaine Coline Pierré de nous ouvrir ses carnets. Auteure pour la jeunesse, elle nous dévoile aujourd’hui son rapport à l’écriture manuscrite, et ses récents succès au sein de sa maison d’édition Monstrograph, créée avec Martin Page. Elle évoque aussi sa dernière publication dans le recueil collectif Elle est le vent furieux, paru chez Flammarion jeunesse. Entretien.
Comment utilises-tu tes carnets au quotidien ?
J’ai en général trois carnets que j’utilise en parallèle. Un pour les notes « générales », un pour les notes du roman en cours (quand roman en cours il y a), et un dans lequel je prépare les ateliers d’écriture que je donne ici et là. Le premier est rempli de tout un tas de trucs, des idées en vrac, des phrases que j’aime, des citations, un bout de dialogue, une référence de livre ou de film, un dessin, un numéro de téléphone, une idée de scène, un morceau de chanson, une adresse, des conseils pour bien choisir mon parquet… J’adorerais tenir des carnets élégants, bien écrits, propres, ordonnés, j’adore les listes, je bave devant les beaux bullet journals sur Instagram et les carnets des amies illustrateurices, qui sont parfois à eux seuls des œuvres d’art. J’aimerais n’y consigner que des choses hautement créatives et intellectuelles, mais la réalité c’est que mes carnets deviennent très vite à mon image : ils sont raturés, bordéliques, remplis avec toutes sortes de stylos différents, écrits à l’arrache dans les transports en commun, j’en arrache des pages pour faire des listes de courses, j’y ajoute des feuilles volantes, ils se plient dans mon sac… Bref, l’écriture et la vie réelle finissent indéniablement par s’y mêler. Maintenant, j’accepte ça, j’accepte qu’ils soient à l’image du bordel de ma personnalité, de ma vie, de ma méthode de travail, je ne serai jamais quelqu’un d’organisé. Une fois le carnet plein, je récupère sur mon ordinateur les idées que je ne veux pas perdre, puis je le range avec les autres dans ma bibliothèque.
Les emmènes-tu partout avec toi ?
Le premier, oui, celui des notes « générales ». Les autres sont plutôt posés sur mon bureau, mais je les emporte quand je pars quelques jours en déplacement, quand je sais (ou que je pense) que j’en aurai besoin. Les avoir dans mon sac a quelque chose de rassurant, alors même que je ne les utilise pas si souvent.
Qu’aimes-tu dans ce rapport aux carnets et à l’écriture manuscrite ?
C’est assez paradoxal, car j’adore les carnets, j’aime qu’ils soient beaux, pour commencer (je n’ai pas de fidélité particulière à un modèle, plutôt des crushs temporaires), en ce moment, j’écoule un stock de carnets Monsieur Papier par exemple, j’aime l’idée du carnet, c’est un lieu à soi de poche, c’est privé, secret, c’est un petit bout du monde consigné dans quelques pages, comme un livre, au fond. Mais dans les faits — et j’en suis la première attristée —, je les utilise de moins en moins, parce que l’informatique est en train de gagner mon cerveau. Parce que mon outil de prise de notes me permet de trier, de classer le désordre de mes pensées, de les ranger par thématique, faire un dossier par livre… Et c’est puissamment utile, malheureusement. J’adorerais qu’un carnet permette ça. Mais si j’aime l’idée du carnet, c’est aussi parce que c’est un objet qu’on peut reparcourir plus tard, c’est comme un album photo, un instantané d’un moment de notre vie, dans lequel le carnet permet de replonger. Les carnets ont un pouvoir hautement mélancolique en même temps qu’ils sont terriblement rassurants. On peut se dire, en les parcourant : « Tiens, j’ai eu de bonnes idées, je devrais donc bien en avoir encore d’autres. » Cela dit, je continue à utiliser l’écriture manuscrite pour préparer mes ateliers d’écriture — peut-être comme une façon de me mettre dans la même disposition corporelle que les participants, qui vont écrire à la main —, pour relire et corriger mes manuscrits. La lenteur de l’écriture à la main est intéressante, elle ralentit la pensée, elle ajoute un labeur qui nous fait davantage peser les mots avant d’écrire.
Tu écris beaucoup de romans et d’albums pour la jeunesse. Quelle est la particularité de l’écriture pour les enfants et les adolescents ?
Je ne crois pas écrire d’une manière différente quand j’écris pour les adolescents ou les adultes. Quand je m’adresse aux enfants, je suis un peu plus limitée dans le langage, et — en album — par le nombre de mots, mais je ne simplifie pas pour autant. Pour moi, c’est un travail d’augmentation et non pas de diminution. Se rendre accessible, c’est s’élever à une hauteur d’enfant. Ensuite, quand j’écris en jeunesse (mais aussi en adulte, à vrai dire), j’ai cette envie que mes livres soient porteurs, qu’ils donnent de l’énergie, qu’ils empouvoirent, c’est ce dont je parle dans mon essai Éloge des fins heureuses.
Tu as aussi fondé Monstrograph, une maison d’édition, avec Martin Page. Vous avez d’ailleurs eu de grands succès : Moi les hommes, je les déteste de Pauline Harmange, désormais publié au Seuil, Au-delà de la pénétration de Martin Page et Poétique réjouissante du lubrifiant de Lou Sarabadzic, désormais publiés au Nouvel Attila. Comment est venue cette idée de Monstrograph ?
Au départ, Monstrograph était le petit cocon qu’on avait créé pour accueillir nos idées de livres bizarres, celles qui nous tenaient à cœur et n’allaient jamais trouver leur place dans l’édition traditionnelle, sans objectif de professionnalisation. On a fait quelques livres écrits et dessinés à la main et un collectif sur le statut des artistes. Et puis de fil en aiguille, on y a publié des essais qu’on avait chacun écrits et qu’aucun éditeur ne voulait publier (Au-delà de la pénétration et Éloge des fins heureuses) puis on a eu envie de publier d’autres personnes, d’inviter des autrices dont on aimait le travail à écrire sur des sujets auxquels on a réfléchi ensemble, ça a donné Moi les hommes, je les déteste et Poétique réjouissante du lubrifiant. Les récents succès nous ont obligés à nous poser beaucoup de questions sur l’avenir de Monstrograph, notre désir de ne pas professionnaliser la maison, de rester bénévoles, de ne pas chercher à augmenter nos ventes, mais de rester un laboratoire, un endroit qui chercher qui tente des choses, et qui laisse les livres vivre leur vie ailleurs s’ils en ont la possibilité. On veut rester avant tout et surtout auteurices.
Ta dernière actualité est la publication de ta nouvelle « Nos corps végétaux », dans le recueil collectif Elle est le vent furieux, paru chez Flammarion jeunesse. Le concept : 6 autrices pour 6 nouvelles autour de la nature. Quel a été le déclencheur de ce beau projet ?
C’est Marie Pavlenko qui est à l’origine du projet. Elle avait écrit la nouvelle de départ et elle est venue nous chercher chacune pour nous proposer d’écrire une nouvelle mettant en scène cette fameuse « leçon » que donne Dame Nature aux humains. Voyant Marie, les autres participantes, la thématique écologique du recueil, le projet m’a tout de suite emballé.
Pour terminer, peux-tu nous parler de ton livre de chevet ? Ou d’un livre qui t’a donné envie d’écrire ?
Mon plus grand choc littéraire est sans doute la lecture des Journaux de Sylvia Plath. Je l’ai découverte vers vingt ans. Je ne connaissais pas l’écrivaine ni son histoire, et je me suis sentie (comme beaucoup d’adolescentes et de jeunes femmes qui écrivent, je crois…) une immense parenté avec les sentiments, les espoirs, les désirs, les doutes, les luttes les difficultés existentielles qui la traversaient. J’ai été frappé par son ambition, son humour, sa force de caractère. Je n’étais pas franchement féministe à l’époque, je lisais beaucoup de livres d’hommes d’ailleurs, et je crois que c’est une des premières fois que j’ai commencé à m’interroger sur ce que signifiait être une écrivaine, une femme qui écrit. Ça a aussi été l’un des modèles qui m’ont aidée à me trouver une légitimité à écrire, à envisager que ce soit possible, que j’en aie le droit. C’est un livre dans lequel je retourne régulièrement picorer. Je viens d’ailleurs de terminer un roman (pour adultes) qui met en scène Sylvia Plath, comme une manière de lui rendre un peu de ce qu’elle m’a apporté.
Actualités de Coline Pierré :
- Découvrir Monstrograph
- Elle est le vent furieux, recueil de nouvelles collectif, paru chez Flammarion Jeunesse, avec Sophie Adriansen (dont vous pouvez lire par ici son interview “Dans les carnets”), Marie Alhinho, Marie Pavlenko, Cindy van Wilder, Flore Vesco, et évidement Coline Pierré
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