Cette semaine, le Journal d’Albion nous entraîne dans les carnets de Thibault de Montaigu. Ecrivain, son dernier roman La Grâce, vient de paraître chez Plon. Il nous parle aujourd’hui de son rapport charnel à l’écriture manuscrite et de ce dernier roman passionnant qu’il a intégralement écrit à la main.
Combien avez-vous de carnets ?
J’ai plusieurs carnets, et j’écris toujours sur celui sur lequel je tombe. Comme je suis journaliste et que je travaille aussi comme scénariste, j’ai des carnets où se recoupent plusieurs choses différentes. Je me souviens sur quel carnet j’écris. Par exemple, quand je fais un reportage, j’écris toujours sur le même. Mais je dois reconnaître que c’est assez limite comme système… (Rires)
Ressentez-vous le besoin d’écrire à la main ?
J’adore le carnet. J’ai l’impression que l’on retrouve le cheminement de son esprit dans l’écriture. Ça permet de mettre en valeur des choses, plus que sur les Notes de son téléphone. J’écris mes livres à la main depuis le dernier. À l’époque, j’étais en Argentine dans la Pampa. Il n’y avait qu’un générateur électrique qui a pété, et je n’avais plus d’électricité. Le seul moyen pour moi d’écrire a été de revenir au papier, à la chandelle… Et ça a été une révélation, ça a libéré mon écriture.
Votre roman La Grâce a donc été écrit intégralement à la main. Ça a apporté un petit truc en plus ?
Complètement. Tout d’un coup, les mots devenaient les miens. La sensation est différente quand on est devant son ordinateur : la typo appartient à tout le monde, on écrit des mots, qui sont les mêmes pour tous. Tout d’un coup, quand on écrit avec son écriture, les mots prennent chair et un poids beaucoup plus fort que sur l’écran. D’autant que La Grâce est un livre qui descend en droite ligne des Confessions de Saint-Augustin, du récit de soi-même, que l’on retrouve aussi chez Rousseau, Gide ou tant d’autres. Avec l’écriture à la main, on est dans une transparence vis-à-vis de soi-même. On se couche sur le papier. On n’est pas là à fignoler quelque chose d’un peu parfait, construit et artificiel. L’écran a quelque chose d’artificiel. Tandis que là, il y a quelque chose de tactile, de charnel. Je trouve qu’on gagne en sincérité, on se ment beaucoup moins quand on est dans une écriture manuscrite. À la main, la plume court plus facilement. J’adore raturer les feuilles, les jeter. J’ai des tonnes de morceaux de papier autour de moi, roulés en boule et jetés aux quatre coins, avec des feuilles sur lesquelles il y a des signes dans tous les sens, qui deviennent cryptiques. J’ai l’impression de garder trace de mon parcours créatif. Je réécris les pages plus tard pour que ce soit clair et intelligible, et tout ce processus, long, me conforte dans ma progression.
Les carnets de Thibault de Montaigu / ©Thibault de Montaigu
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Il me faut du calme, c’est la règle numéro 1. J’aime être dans la nature, dans un espace sans internet, sans réseau téléphonique. C’est ce que j’avais en Argentine, et c’est assez merveilleux. En ce qui concerne les rituels, quand je sens que je suis trop stressé par le travail, ce qui m’empêche d’entrer en profondeur dans moi-même, il me faut des phases de transition. Je peux les avoir avec la méditation ou la prière. J’ai aussi une technique assez efficace : une douche glacée sur le crâne. C’est comme une césure avec la temporalité dans laquelle je me trouve pour atteindre celle de l’écriture. J’ai besoin de cette césure pour faire baisser mon rythme cardiaque. Sinon, l’amorce est très difficile.
Vous mettre à écrire est difficile.
Disons que la césure entre le moment où on est en train de faire un autre travail (des reportages, des scénarios, etc.) et le moment où on s’assoit à sa table nécessite d’aller chercher au fond de soi quelque chose qui n’existe pas. On convie l’inspiration… Oui, il y a une communication qui se trouve ailleurs, et il faut ouvrir ce canal-là. Ces rituels m’aident d’une certaine manière.
Arrivez-vous à écrire tous les jours ?
Non… Je prends des notes, je fais des recherches, mais la promotion d’un livre et ce qu’il se passe autour mobilisent trop d’attention pour écrire quelque chose d’essentiel et profond. J’ai toujours l’occasion d’écrire puisque je suis journaliste et scénariste, mais ce n’est pas forcément de la littérature. Le temps d’écriture est particulier pour aller chercher quelque chose de puissant, profond et original.
Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Il y a eu un livre spécifique ou bien est-ce plutôt lié à une éducation ?
Je pense que ce sont les deux. Je viens d’une famille de l’édition, donc j’étais entouré de livres. J’ai été baigné dans la littérature, dans toutes ces histoires qui m’ont permis de m’échapper de ma condition de petit garçon et de vivre tant d’aventures. C’est une autre épaisseur qui est donnée à la vie. Mon premier grand choc quand j’étais enfant fut sans doute L’Écume des jours de Boris Vian. J’avais cette sensation que les mots recréaient un autre monde qui était peut-être plus vivant que celui dans lequel on était. C’est ce qui m’a marqué, et qui continue de me marquer dans la littérature. On doit passer par les mots pour atteindre une vérité plus vraie que la vérité dans laquelle on vit.
Avez-vous un livre qui vous suit depuis longtemps ?
Plus je vieillis, et plus je me rends compte qu’on a des périodes. Les auteurs que j’ai vraiment aimés à 20 ans, je les aime encore, mais ce ne sont plus ceux qui me nourrissent et qui me font vibrer aujourd’hui. C’est étonnant de voir ce qui change avec les époques. Je n’ai pas un auteur qui m’accompagne de manière stable. J’ai eu une succession de périodes.
Et qui vous nourrit aujourd’hui ?
Bernanos, Péguy, Chateaubriand. Toute cette généalogie littéraire française d’écrivains mystiques. Ils ont un style, une langue, quelque chose de transcendantal. Chercher un principe en dehors de soi. On n’est pas dans le réalisme, ni totalement dans le romantisme. On est dans l’idée que la vie est habitée par autre chose. Ce sont des auteurs qui m’ont accompagné de manière très forte durant l’écriture de La Grâce.
- La Grâce est toujours en lice pour le Prix de Flore et le Prix Interallié 2020.
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